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02.04.24

La Galerie dans l’architecture

 

La Galerie dans l’architecture

 

Avez-vous remarqué qu’il est impossible de parcourir la Galerie des Glaces sans se laisser happer par son décor et ses proportions ? Et pour cause… Traverser une galerie est une sollicitation de chaque instant. La simple déambulation se voit transformée en un véritable parcours initiatique et artistique. Il s’agit pour le visiteur d’une découverte pas à pas. Qu’elle soit réservée à un usage privé ou public, la galerie a pour enjeu de mettre en valeur la position sociale de son commanditaire. Elle doit créer l’émerveillement et susciter l’admiration, et bénéficie pour cela d’une attention particulière dans le programme décoratif de l’architecture qui l’accueille. 

 

Bien que visibles dès la fin du XIVe siècle dans certains hôtels particuliers parisiens, au sein desquels leur usage reste à éclaircir, les plus anciennes galeries que l’on peut encore admirer dans leur disposition d’origine datent du début du XVIe siècle, soit à l’aube de la Renaissance française. Parmi ces exemples, la galerie construite par François Ier au château de Fontainebleau fait figure de référence. Celle du château d’Oiron, au décor peut-être moins spectaculaire, n’en demeure pas moins dans un état de conservation remarquable depuis sa création entre 1547 et 1555. On y retrouve la double exposition disparue à Fontainebleau depuis les travaux réalisés par Louis XVI au début des années 1780. A Oiron, l’ouverture sur cour et sur jardin rappelle la promenade intérieure que représente la galerie à la Renaissance. Sa position dans une aile en retour d’équerre le long de la cour est une composante qui va se maintenir jusqu’au début du XVIIIe siècle. Le modèle à deux niveaux construit au château de Chenonceau par Catherine de Médicis vers 1577 sur un pont édifié par Diane de Poitiers est littéralement jeté entre les deux rives du Cher. C’est un exemple unique qui témoigne à nouveau de l’importance accordée au paysage extérieur dans l’univers intérieur de la galerie. La galerie construite au Louvre pour Henri IV pour relier ce dernier au palais des Tuileries renvoie au corridor des Médicis à Florence et affirme la fonction dynamique de la galerie : circuler.

 

Au XVIIe siècle, l’engouement pour la galerie se confirme autant que sa position, s’épanouissant dans une aile latérale perpendiculaire. La galerie du palais du Luxembourg de Marie de Médicis offre un bel exemple de transition entre la mode de la Renaissance finissante et ce que sera la galerie dans l’architecture du Grand Siècle. La commande de vingt et un tableaux au peintre Paul Rubens afin d’habiller l’ensemble des murs est un projet grandiose qui impose, de par son ampleur et le thème glorifiant qu’il développe, le caractère politique de la galerie dans le milieu royal. Louis XIV y sera sensible. La thématique retenue pour le plafond de la Galerie des Glaces peint par Le Brun met en avant les succès militaires du monarque. Longtemps en chantier, le château de Versailles a d’abord été admiré pour ses jardins, œuvre de Le Nôtre. Ainsi, la galerie imaginée par Jules Hardouin-Mansart constitue-t-elle le meilleur point de vue pour admirer ces derniers. La perspective monumentale tournée vers un horizon infini se reflète dans le grand ensemble de miroirs habillant le mur aveugle adossé au château primitif . Les hôtels particuliers parisiens du XVIIe siècle ne sont pas en reste et contiennent des galeries d’un luxe inouïe, au regard de la modestie de leurs proportions. Tel est le cas de la galerie du palais Mazarin située dans une aile bâtie par l’architecte François Mansart entre 1644 et 1646. Le plafond habillé d’une voûte peinte rencontre un vif succès.

 

 

Ce tournant décoratif marque la fin du plafond à la française, comme dans la galerie du château de Chenonceau, faisant disparaître la structure de bois anciennement visible sous une multitude de divinités et d’allégories. Quoi de plus approprié que ce gigantesque champ libre pour rapprocher la galerie du céleste et permettre à son commanditaire de se faire représenter aux côtés d’un Apollon, d’une Diane ou d’un Hercule, quand ce n’est pas pour prendre leur place ? Cet exploit libère les murs et autorise un décor mural plus architecturé. A Versailles, un jeu discret d’oculi favorise l’éclairage naturel de la voûte.  

Au XVIIIe siècle, la galerie évolue et, référence versaillaise oblige, intègre le cœur de la plupart des appartements. Dans de nombreux édifices, celle-ci ne demeure plus seulement un accessoire mais devient bien l’aboutissement vers lequel s’oriente tout le parcours architectural. Les panneaux de boiseries habillent désormais les murs au détriment du marbre et des décors peints. Agrément indispensable de l’hôtel particulier, cette dernière s’invite peu dans les maisons de plaisances autour de la capitale et bien plus rarement dans celles de province. Dans ce domaine, ce sont bien les architectes parisiens qui donnent le ton. Ces derniers diffusent leurs plans par la gravure. Leur clients sont souvent de riches commanditaires de province, achevant leur ascension sociale dans de somptueux hôtels particuliers du Faubourg Saint-Honoré avec pour symbole de réussite une galerie. Mais l’intérêt pour cet espace décline dès le milieu du XVIIIe siècle au profit d’un aménagement plus intime où le cabinet se fait roi. Passée de mode jusqu’à la fin du Second-Empire, la galerie resurgit à la Belle-Époque notamment dans les réalisations de René Sergent.

Alors, une galerie, certes mais pour quoi faire ? Les usages sont nombreux, varient et s’empilent pour convenir aux circonstances. Tantôt simple couloir de circulation, tantôt salle des fêtes, la diversité des destinations se rejoint en un caractère commun : glorifier le commanditaire en exposant les trésors et d’œuvres d’art de sa collection. Qu’elle soit peuplée de peinture, d’antiques, de meubles ou d’objets précieux, cette collection trouve dans la galerie un écrin parfaitement adapté et valorisant. Cette accumulation toute personnelle, mise en valeur par un espace au décor et aux proportions hors norme, est une étape obligée pour tout visiteur et un moment de gloire dont le maître des lieux ne saurait priver sa dignité. Si la position de la galerie évolue depuis la fin du XVIIe siècle jusqu’à son abandon progressif dans la deuxième moitié du siècle des Lumières, sa forme longitudinale est une constante. Son étirement favorise l’apport  en lumière, souvent accentué par des miroirs. Une extrémité prend parfois la forme d’une abside comme à l’hôtel Lambert, dû à l’architecte Le Vau et au peintre Le Brun, véritable duo de choc du XVIIe louis quatorzien. Plus rarement, deux hémicycles adoucissent les petits côtés comme à l’hôtel de Bourbon. 

Inspirée des modèles italiens, la galerie française n’en possède pas moins un langage architectural à part, aux spécificités admirées et très largement copiées. Les exemples ne manquent pas, fort nombreux dans la capitale et en Île de France. Formidable terrain d’expression pour les architectes, peintres et sculpteurs, la galerie a de tout temps rassemblé les meilleurs talents dans un objectif commun : faire de cette œuvre d’art totale un centre de l’univers.

 

 

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