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09.04.24

La répétition

 

La répétition d'éléments ou la séquence en architecture

 

Dans un précédent article, nous vous faisions découvrir la Galerie dans l’architecture française. La Galerie est un bon exemple pour introduire notre article. En effet, l’une des caractéristiques de la Galerie est la répétition d’une séquence. Cette séquence, constituée la plupart du temps de fenêtres, colonnes, ou tout élément décoratif voire structurel, dynamise, par la régularité de son enchaînement, le parcours architectural de la pièce. A travers les différentes applications que l’on peut trouver au principe de répétition, nous vous offrons un voyage inédit dans le temps.

Si les alignements mégalithiques qui peuplent la France feraient un point de départ tout tracé, vieux pour certains de 7000 ans, nous nous contenterons de commencer notre aventure en Egypte avec ceux de Nabta, quasiment contemporains. Ces premiers alignements constituent les premiers témoignages de lieux de culte en rapport avec l’observation des cycles solaires. Ce qui nous intéresse ici, c’est la notion de parcours associée à ces premiers alignements. Ce n’est pas encore le parcours de l’être humain à travers un dédale de pierres, mais bien la course du soleil qui rend dynamique la fixité des pierres, par l’évolution des ombres projetées au sol. L’alignement intègre progressivement des formes géométriques. D’abord une ligne, puis deux, et enfin un carré plus ou moins long. Alignement et axe amènent une notion d’équilibre qui se matérialise dans la symétrie. L’architecture Égyptienne utilise cette symétrie tant pour structurer ses forteresses et ses temples que pour mettre en scène le parcours architectural d’entrée. 

L’usage ordonné de colonnes et de piliers fait son apparition et illustre à merveille cette évolution. La répétition alignée du système poteau-poutre ou colonne-linteau crée une structure et donne naissance à des espaces intérieurs très vastes. Ce système se retrouve dans l’architecture de l’Antiquité Grecque puis Romaine. Cette monumentalité est réservée aux temples et aux bâtiments publics. Le lien avec les premiers temples de la chrétienté, les églises romanes puis gothiques, est tout indiqué. S’il ne fait aucun doute que les cathédrales aient hérité de certains principes de cette architecture faite d’alignements et de répétitions, leur structure en maillage avec reprise de charges représente une avancée considérable. C’est la conquête du ciel, conquête que le peuple Égyptien avait par ailleurs amorcée avec ses pyramides quelque 5000 ans plus tôt. 

Avec la Renaissance et le regain d’intérêt pour l’Antiquité, la structure poteau-poutre formée de la colonne et de l’entablement refait surface, mettant pour un temps la voûte d’ogives en sommeil. Mais la colonne n’est plus seulement réservée aux Temples. Celle-ci intègre l’architecture civile et l’on trouve ainsi dès le XVIe siècle de vastes espaces intérieurs réservés aux divertissements de la Cour de France, dont notamment notre fameuse Galerie. D’abord timide sur ce point, l’architecture de la Renaissance finit par reprendre à son compte la symétrie explorée sous l’Antiquité. Le dessin, les mathématiques et la planification aidant, des évolutions s’observent aisément à travers les réalisations de François Ier, opposant un Blois tâtonnant à un Chambord majestueux.

 

 

Puis c’est au tour des jardins d’intégrer la symétrie et de s'aligner à l’architecture. La séquence qui caractérise en premier lieu les bâtiments se déploie en jardins géométriques réguliers d’abord, puis axés. La période Classique poussera la répétition, l’alignement et la symétrie à une forme d’apogée. Le jardin «à la Française» du XVIIe siècle aime appliquer un dessin architectural aux espaces verts de manière rigoureuse. Il s’agit bien du prolongement de l’architecture à travers un certain nombre de salles de verdure et de galeries à ciel ouvert. La succession régulière d’arbres, d’arbustes, de bosquets, de parterres, de statues, de vases, etc…, témoignent de l’intervention de l’homme sur la nature. Serait-ce vraiment pour la dominer ? Ne serait-ce pas plutôt l’inverse ? Quoique ralentie, la pousse permanente des végétaux d’une haie ou d’un bosquet impose une taille régulière. Le maintien de l’alignement, obtenu non sans efforts, s’entretient avec assiduité et constance. Remise dans son contexte, cette recherche d’un idéal au moyen du végétal participait de la mise en scène de l’architecture. La ligne droite et la séquence étant d’abord le fait de l’architecture, leur intégration dans les jardins invite à se mettre en mouvement, et ce malgré leur éphémère spectacle. L’allée cavalière régulièrement bordée d’arbres est un chemin à suivre. Le spectacle qu’offre le défilement des arbres dans l’action d’avancer constitue bien une dynamique.

A partir du XVIIe siècle, l’utilisation de la succession dans l’aménagement intérieur témoigne de l’engouement pour l’enchaînement des pièces. La fameuse enfilade des Grands Appartements du château de Versailles donne à la circulation un effet grandiose en raison de l’alignement de toutes les portes le long des baies. Il s’agit véritablement de théâtraliser, de séquencer et d’orchestrer la circulation. L’anarchie n’est pas permise.  Ainsi, sur une longueur pouvant atteindre plusieurs dizaines de mètres, le visiteur a un aperçu de la quantité de pièces qui l’attendent. L’effet de perspective devient un instrument de puissance et assoit la supériorité du roi par un étourdissant déploiement de salles qui sont autant d’opportunités de répandre des trésors presque infinis.

Exercice passionnant que de résumer plusieurs millénaires d’architecture en quelques paragraphes avec pour fil conducteur la répétition. Le caractère commun à toutes ces architectures pourrait bien venir de ce que la Renaissance italienne a su matérialiser grâce à ses peintres savants. Ne voyez-vous pas dans les lignes créées par la répétition les principes mêmes de la perspective ? Ce sont des points de fuite qui s’offrent à nos yeux de promeneurs. Notre univers visuel ainsi dessiné nous emporte vers un point de fuite largement suggéré. Notre œil est littéralement attiré vers un horizon, un objet, une destination, qui n’est pas le fruit du hasard. Il s’agit de l’exact opposé de ce que la Nature offre à voir. Dans cet univers naturellement chaotique, chaos qui n’est toutefois qu’apparent, que pouvait faire l’espèce humaine afin de créer son propre univers si ce n’est d’appliquer à l’œuvre de la Nature des principes de géométrie dont elle semblait privée ? Ah… quel curieux spectacle offrirait l’alignement de nos rues, le séquençage de nos déplacements et notre univers « maîtrisé » aux yeux des premiers Homo sapiens… ?

 

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