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12.04.24

Le marbre dans tous ses états

 

Le marbre dans tous ses états

 

Employé dès l’avènement de la civilisation grecque, dont les temples dressent encore fièrement leur silhouette, le marbre ne cesse de séduire depuis près de trois millénaires commanditaires, architectes et artistes, par la diversité et la splendeur des couleurs qu’il révèle. Tantôt structure, tantôt sculpture, cette matière inerte est dès sa découverte affectée aux parties nobles des constructions. Les temples, les palais et nombre de leurs trésors, sont indissociables du mythe auquel ce dernier les rattache. Symbole de puissance, de gloire et de luxure, ce matériau n’en impose pas moins humilité et courage pour être maîtrisé. Car peut-être plus que tout autre, le marbre fascine par les mystères qu’il contient. La multiplicité des dessins et des couleurs qu’il offre à contempler nous paraissent infinies, autant que sa dureté le rend éternel à nos yeux. 

 

Membre de la famille des roches calcaires, le marbre compte à minima 50% de carbonate de chaux (CaCO3). S’il constitue une part largement minoritaire de la croûte terrestre, réservant la première place au granit, plusieurs millions d’années sont nécessaires pour réunir les conditions indispensables à la formation du marbre. Son origine marine est une constante, liée inévitablement au mouvement des plaques terrestres. Les eaux chaudes sont les plus favorables au dépôt du calcaire. Les eaux plus fraîches fixent le calcium grâce aux développements d’organismes végétaux et animaux sous forme de récifs entiers. C’est pourquoi l’on trouve dans de nombreux marbres des traces d’organismes coquilliers d’un autre temps. Le calcaire se transforme en marbre à une température et une pression permettant de changer le limon en roche. Le marbre est indissociable de la pluralité des ressources en présence dans le processus de formation. Pour autant la quasi-improbabilité de réunir des conditions similaires en tout point à chaque étape de ce lent processus explique l’exceptionnelle diversité de ses dessins et de ses couleurs, rendant chaque gisement unique et identifiable.  

 

Les Grecs de l’Antiquité apprécient le marbre pour la finesse des lignes qu’il donne à l’architecture. Les temples de l’Acropole en sont constitués presque intégralement. Saviez-vous que les tuiles qui en couvraient jadis les toits sont également taillées dans cette même matière ? Les colonnes grecques sont souvent constituées de disques de marbre empilés et maintenus grâce à une âme de plomb. L’étalement ordonné des tambours de colonnes à Olympie, conséquence désastreuse d’un tsunami d’une violence inimaginable, le révèle. Le marbre blanc est choisi car il est le plus à même de recevoir un décor peint polychrome. Le peuple romain, par son engouement pour ce matériau, en fait une véritable filière. Les précieuses carrières sont recherchées sur tous les territoires conquis par l’Empire. Si le marbre blanc demeure en tête parmi les favoris, privilégiant le précieux gisement de Carrare dans le nord de la Toscane, les marbres colorés qu’offrent les massifs de la Gaule attisent au plus haut point la convoitise impériale. Force est de constater que nous devons à l’insatiabilité romaine la découverte en France de nombreux gisements. La large palette de couleurs disponibles trouve sa parfaite expression dans la réalisation de colonnes monolithes, de mosaïques et de bustes.

 

 

Les premières confrontations des Grecs et des Romains avec ce matériau assurent le perfectionnement des techniques d’extraction. Il s’agit là d’un travail considérable. L’on distingue les carrières à ciel ouvert des galeries souterraines. Ce choix est décisif dans le succès d’un gisement. La première option se révèle dans bien des cas une stratégie gagnante. Mais les problématiques d’extraction sont sans commune mesure avec celles du transport. Les difficultés rencontrées pour l’acheminement des blocs justifient par les moyens rudimentaires à disposition l’élévation constante des prix au détail. Le transport par voies maritimes ou fluviales est préféré autant que possible. Moins onéreux il s’avère surtout plus sûr que les convois terrestres. La proximité immédiate de la Méditerranée est un élément déterminant dans le succès à l’export du gisement de Carrare.

A la Renaissance le marbre intègre en force les édifices religieux, les palais et le mobilier. Les salles les plus prestigieuses voient leurs murs recouverts d’un parement polychrome aux dessins géométriques. Lorsque la ressource n’est pas disponible ou que la dépense est affectée à un autre dessein, le marbre peint s’impose. Certains édifices vont jusqu’à arborer des originaux de l’Antiquité. La collection royale de bustes d’empereurs romains témoignent de la fascination qu’exerce la gloire à jamais figée de Rome sur les monarques occidentaux. Ceci n’est pas sans rappeler la candidature de François Ier au trône du Saint-Empire, rejetée en 1519 au profit de son éternel rival Charles Quint. Grâce à sa personnalité de bâtisseur, François Ier relance l’exploitation des carrières françaises. Il ne s’agit pas de créer une économie nouvelle mais bien de satisfaire un goût purement royal. 

Au XVIIe siècle, Henri IV, Louis XIII, puis Louis XIV favorisent à leur tour les marbres français. En témoignent le sol de la Chapelle de la Trinité au château de Fontainebleau, achevé vers 1641, mais également les nombreux aménagements du château de Versailles. Louis XIV, aidé de son ministre Colbert, parachève cette politique de préférence française, ponctuant son règne par la réalisation du cabinet des bains, de l’escalier des ambassadeurs, de celui de la reine, de la Grande Galerie et de ses salons. Le château de Trianon presque intégralement recouvert de marbre met à l’honneur un dégradé subtile d’Incarnat de Caunes-Minervois et de Campan. Le tapis de marbre de la Chapelle Royale de Versailles figure le point d’orgue des constructions du règne. Puis l’usage du marbre devient moins grandiose. Les murs étant couverts de boiseries, la cheminée représente l’un des seuls éléments d’architecture fait de marbre. Son choix détermine celui des plateaux couvrant les meubles ainsi que les teintes des boiseries. Cependant, la demande s’amenuise et de nombreuses carrières sont abandonnées jusqu’à la Révolution. La sobriété des teintes accompagne le goût pour l’Antiquité de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Sous l’Empire et la Restauration, ces principes sont conservés. Le Porphyre est particulièrement apprécié. Les marbres verts et noirs sont également très appréciés. Dans le mobilier, le marbre se fait discret. La réalisation de l’arc de triomphe du Carrousel et l’aménagement du tombeau de Napoléon Ier marquent la première moitié du XIXe siècle. L’escalier monumental du Palais Garnier illustre un regain d’intérêt spectaculaire mais isolé sous le Second-Empire.

 

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